Bond au début des 70's.

Devil May Care prennait le parti de placer 007 en 1968 après les évènements avec Scaramanga. Le roman qui est parvenu à placer Bond dans cette période agitée du début des 70's sans l'affadir est "Colonel Sun" quatre ans après la mort de Ian Fleming et deux ans après la publication de son anthologie "Octopussy" et "The Living Daylights".
Après avoir rejeté le manuscrit du roman de Geoffrey Jenkins pour des raisons qui restent obscures aujourd'hui, Glidrose a inauguré une nouvelle série d'aventures qui seraient écrites par différents auteurs sous le pseudonyme de "Robert Markham." L'expérience Glidrose ne sera pas retentée avant treize ans...

Colonel Sun est sûrement le moins connu parce que le moins lu. On le trouve facilement en bouqinerie poutant. Amis est sans contexte bien plus au fait de ce qui compose le personnage littéraire que ne l'ont jamais été les successeurs tels Gardner ou Faulks !
L'intrigue ne perd pas de temps pour débuter. Pour attirer l'attention des lecteurs et leur faire oublier le fait qu'un nouvel auteur est derrière la machine à écrire, l'incident d'ouverture est un choc: M est enlevé à son domicile, Quarterdeck, et ses domestiques sont assassinés de sang froid. James Bond qui rend visite à M après une partie de golf sous surveillance est impliqué directement, ce qui faisait partie du plan des ravisseurs. On retrouve l'audace que Fleming a mis dans le premier chapitre de son ultime livre "L'Homme au pistolet d'or" qui est un de ses romans les plus dynamiques et dépaysants avec "Live and Let Die". Colonel Sun est dans cette veine.

Bond part pour Athènes suite à la découverte d'un indice relevé sur place. Il est évident que c'est un piège, mais 007 doit prendre l'appât s'il veut sauver M. Le terrorisme qui sera la base de tout bon roman qui se respecte à cette période est pour la première fois abordé de façon exempte de l'"exotisme" habituel du super-villain un peu caricatural.

Bond et l'inévitable alliée féminine arrive à Vrakonisi et à ce moment le livre commence à perdre son élan. Un certain von Richter, un méchant allemand introduit à la hâte sans aucun besoin tant Sun se suffit à lui-même et le général russe Arenski viennent diluer la trame. Amis consacre même un chapitre entier à George Ionides, le pêcheur qui sert de leurre ! Le chapitre ne sert à rien et ralentit l'action avant la finale.
Au moins la conclusion du livre restitue son rythme explosif au roman comme dans le temps des anciens volumes. La violence est intense, et la torture infligée à Bond est digne de celle de Casino Royale en film par le rendu de sa violence.

Bond lui-même est en pleine forme ici tel que Ian l'avait écrit dans les premiers romans. Bond élimine ses adversaires sans pitié et souvent de façon sanglante, sans aucune trace de l'ironie ou de fantaisie qui a envahit les films à cette période, donc avant même l'arrivée de Moore. James Bond est là pour faire le sale boulot, il est l'instrument contondant de sa Majesté !

Colonel Sun est un adversaire dans le modèle de Docteur No. Il fait une forte impression, mais il râle trop longtemps avec jubilation et à grand renfort d'explications didactiques quand il a finalement Bond en son pouvoir. Le lecteur est susceptible de se rallier à Bond quand il coupe le Colonel Sun "Apportez plutôt vos fers chauds. Ils ne peuvent pas être beaucoup plus douloureux que d'avoir à s'asseoir ici à vous écouter. " rappelant Brosnan et Carver dans la séquence "Je croyais que votre Tv nous mettait déjà à la torture..."

Niko Litsas est un allié efficace rappelant Kerim Bey. Litsas a sa propre quête de vengeance personnelle. Il a lui aussi un peu trop tendance à s'enliser dans sa personnification. C'est une différence majeure entre ce roman et les livres de Fleming. Amis consacre un espace important dans les discussions sur la politique et des allégeances. Amis, d'autre part, a eu une vie étroitement liée à la politique, d'abord comme membre du parti communiste anglais, puis en tant que conservateur bon teint. Presque inévitablement, sa version du monde de James Bond est à l'avenant..

Ariadne Alexandrou est volontaire et capable, participant à des scènes torrides jamais vues encore dans les romans de Fleming sujets à la censure. Ce qui n'est plus le cas à ce moment de l'évolution des moeurs 70's. Il est à noter que dans Carte Blanche, Bond semble bien plus puritain que dans les romans de Fleming !

M a placé la barre très haut !
Je vais me contenter de donner un avis perso car je suis plus fan de DMC que de Colonel Sun par exemple.

Après avoir goûté aux romans de John Gardner et Raymond Benson j'ai lu CS. Curieusement je n'avais pas eu envie de lire ce premier successeur de Flemingsurtout après avoir entendu tous les commentaires élogieux à son sujet. Ce roman est pourtant dans la bibliothèque familiale depuis 1976 d'après mon père !

Fleming avait un flair certain pour le bizarre et l'aventure que ses successeurs ont été incapables de reproduire à l'identique.
Il semblait toujours avoir l'instinct pour impliquer le lecteur dans l'histoire. Mais peut-être son plus grand atout est sa capacité à surpendre le lecteur. Même si Bond selon Fleming ne fait pas les cascades hallucinantes de DC ou n'utilise pas les gadgets amusants de Roger !
Malheureusement, Kingsley Amis n'y parvient pas lui.

Bond selon Amis n'est pas aussi solide au sens psychique. Nous ne sommes jamais au courant des pensées de James Bond comme dans les romans de Fleming. Il est en parfaite maîtrise de la situation quasiment à chaque séquence ce qui le rapproche du Bond des films de Moore paradoxalement.
Dans Colonel Sun, j'ai eu le sentiment que le complot n'existe que pour placer les lieux exotiques et les scènes d'action.

C'est ce genre d'écriture qui témoigne de l'incapacité de l'écrivain de reproduire le rythme Fleming, un rythme qui évolue rapidement entre les moments de drame, de suspense et les pensées de Bond qui permettent de suivre son cheminement dans l'intrigue.

En effet comme l'a dit M, le personnage du pêcheur est une absurdité totale. Ce personnage non seulement finit par se faire tuer à la fin du chapitre, mais il tue littéralement le rythme du livre au plus mauvais moment !
L'éditeur aurait du purement et simplement faire suprimer ce passage ou du moins le faire réécrire.

Amis a aussi pris quelques libertés avec les personnages, établis préalablement par Fleming que Fleming certainement n'aurait jamais approuvé.
Pire que tout, cependant, sont les libertés prises avec Bond, en particulier avec son histoire d'amour dans le livre. Ignorant le fait que cette jeune fille «Ariane», à 23 ans, soit la moitié de l'âge de Bond, cette garce est un agent communiste russe travaillant pour le GRU. Pourtant Bond glause sur son idéalisme ! A comparer à la fin de "Casino Royale" et la réaction de James Bond quand il a découvert la trahison de Vesper, on peut dire sans se tromper que Bond selon Amis est étranger à celui de Fleming.